Elle aurait pu se soumettre comme ses frères de couleur, Rosa Parks refuse, de céder sa place de bus à un blanc, rompant avec les règles imposées.
Il aurait pu ne pas révéler les falsifications de l’histoire, Soljenitsyne refuse de se taire et dénonce la tyrannie concentrationnaire soviétique.
L’un et l’autre ont transgressé, chamboulé des ‘’vérités », des normes au nom d’un moyen de lutte.
La transgression rompt avec l’ordre, passe outre ce qui est communément admis. Ce faisant, elle ne fait pas que malmener les usages, elle entraîne le désordre, ébranle, secoue.
Certaines transgressions s’imposent. Si pendant le repos obligé du Shabbat, jour sacré, une vie est en danger, on se doit de violer cet impératif. Tout comme dans la marine, un commandant peut enfreindre les ordres pour secourir des naufragés. Ces désobéissances sont des actes de liberté mais surtout des nécessités. On les admet, on les comprend. Mieux, on les espère.
Tout autres sont les transgressions qui ne visent pas le bien commun mais assouvissent l’intérêt d’une personne, d’un groupe, au détriment d’autrui. Laboratoires pharmaceutiques qui persistent à diffuser des médicaments, malgré leur interdiction. Médecins qui testent des molécules-miracles sur des patients avant leur conformité scientifique. Entreprises qui, pour leur seul profit, surexploitent et polluent la nature, affamant des populations. Individus qui diffusent sur le net des vidéos à caractère privé, profitant du scandale causé. L’obscène est entré dans la vie quotidienne.
Les psychiatres, les psychanalystes, les criminalistes accoutumés à évoluer dans un domaine où les limites deviennent obscures, sont confrontés à des personnalités qui se jouent des interdits mais aussi à ceux qui en souffrent tout comme ils reçoivent les enfants et les adultes abusés par des prédateurs, révélant l’ampleur de leur souffrance et des traumatismes engendrés.
Mais sait-on toujours lorsqu’on transgresse ?
Il fut un temps où l’on conduisait sans ceinture et fumait en société. Tout comme aujourd’hui, on commence seulement à s’inquiéter que nos mails soient de redoutables pollueurs ou que les plastiques se transforment en déchets nocifs pour la biodiversité.
Or les limites sont aussi le socle de notre liberté. Elles ne bornent pas seulement le champ des transgressions, elles contiennent la violence des autres, et la nôtre. Refuser de respecter un confinement imposé en période de pandémie, par exemple, est-ce une affirmation de liberté et/ou un outrage à autrui ?
Toutes les transgressions ne sont pas profanation. Toutes les violations ne sont pas négatives. Combien d’avancées ne seraient pas nées sans elles ? De la première transplantation cardiaque à la Fécondation in vitro, de la greffe d’un visage au traitement de la douleur, de l’IVG à l’utérus artificiel, à l’information génétique, autant de résultats nés de radicales remises en cause.
Même chose :
En politique, des transgressions pacifiques de désobéissance civile, peuvent-elle violer certaines lois au nom de l’intérêt général? Les mesures votées en état d’urgence sont-elles contraires aux principes des libertés publiques ?
En arts… Quand Marcel Duchamp expose ses « ready-made » ou lorsqu’ Edouard Manet présente « Le déjeuner sur l’herbe » au salon des Refusés. Au cinéma, lorsque Quentin Tarantino filme une violence dérangeante désamorcée par l’humour et un esthétisme sophistiquée. Des portes s’ouvrent vers une autre création.
Comme elles se sont ouvertes à la suite de ceux qui, dans la littérature, rompent avec les codes établis tels Jean Genêt, Virginia Woolf, Tennessee Williams…..
Ces hardiesses innovantes, révolutionnaires souvent nées d’actes transgressifs, racontent une époque et une société où les lignes et les codes changent rapidement : ce qu’on tolère, ce qui choque, ce qu’on finit par accepter, ce qu’on attend, ou redoute.
Transgresser, est-ce sans cesse louvoyer entre scandale et éthique ? Entre scandale et liberté ? Entre scandale et nécessité ?
Muriel Flis-Trèves et René Frydman