Vertige de l’accès au génome du fœtus

Une simple prise de sang chez la femme enceinte permet désormais de séquencer le génome du fœtus, grâce à la reconstitution de son ADN, présent de façon fragmentaire dans le sang maternel. L’accès au génome du fœtus s’est faite en deux temps : (1) l’observation en 1997 que de l’ADN fœtal libre était présent dans le plasma maternel dès les premières semaines de grossesse – dès la 11ème semaine d’aménorrhée et à hauteur de 10% ; (2) l’augmentation extrêmement rapide des capacités de séquençage des acides nucléiques (ADN) au cours de ces dernières années. Aujourd’hui, le séquençage des 3 milliards de paires de base du génome humain d’un enfant, d’un adulte à partir d’une prise de sang, ou seulement des 30 millions de paires de bases correspondant à ses gènes – l’exome, est une réalité ; le séquençage du génome du fœtus à partir d’une prise de sang de la femme enceinte reste encore une prouesse technique et fait l’objet de quelques publications dans des revues internationales de haut niveau. Mais, demain, son séquençage sera une possibilité quotidienne. Il importe aujourd’hui, et je dirais même urgent, de réfléchir à ce que nous ferons de cette possibilité technologique. Nous laisserons-nous laisser guider par la technologie ?

 

Pourquoi l’accès au génome du fœtus nous donne-t-il le vertige ?

Même si une personne ne se résume pas à son génome, loin de là, il n’empêche que ses caractéristiques génétiques sont une information constitutive, définitive, et qui peut concerner ses apparentés. Je reprends là la définition des tests génétiques, actes clinico-biologiques, retenue par le décret de mai 2013 portant sur « les règles de bonne pratique applicables à l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne à des fins médicales ». C’est ainsi que le séquençage du génome du fœtus, potentialité de personne, permet de prédire l’apparition de telle ou maladie – mais pas de toutes les maladies – dès la naissance, dans l’enfance ou plus tard. Il s’agit d’informations qui peuvent aussi concerner dans l’immédiat l’un des deux parents. A titre d’exemple, l’identification d’une mutation dans un gène de prédisposition aux cancers du sein, conduirait à des mesures de prévention chez la mère si elle s’avérait également porteuse de cette mutation. J’évoque là le diagnostic de maladies mendéliennes dont la probabilité de survenue est élevée. Mais n’oublions pas que le séquençage du génome réalisé en dehors de toute question posée par un contexte clinique particulier, va donner un grand nombre d’informations dont on ne saura que faire, car on ne saura pas les interpréter, pire on les sur-interprétera. Un variant dans un gène de maladie rare de signification biologique – et donc clinique – inconnue ne courra-t-il pas le risque d’être interprété comme causal et par là associé à une maladie. Cette surinterprétation, que je compare au drame de la jalousie, risque de conduire à une interruption médicale de grossesse injustifiée, ou à un vécu de la grossesse par le couple chargé d’anxiété, et peut-être à une inquiétude persistante sur l’enfant né. Ces difficultés d’interprétation ne vont pas concerner un seul variant mais probablement des dizaines. Ainsi, aucune grossesse ne sera épargnée. Voilà, le vertige qui nous guette en ayant accès au génome du fœtus.

Il y a une autre raison d’avoir le vertige. Je ne l’évoque que par hypothèse. Car elle me semble peu crédible. C’est celle de la sélection positive de fœtus, la sélection d’un fœtus car son génome prédit des traits particuliers (des yeux bleus), un quotient intellectuel élevé, des capacités physiques exceptionnelles. En dehors de la couleur des yeux, les traits complexes comme l’intelligence, la force physique, ne sont pas prédictibles et à mon sens ne le seront pas. Et surtout, les couples inscrits dans un projet parental ne souhaitent pas un enfant parfait mais un enfant en bonne santé, non malade, non porteur de handicap, pas tant pour eux-mêmes mais pour éviter à leur enfant des souffrances ou la perspective de souffrances importantes. Ainsi, la limite ici n’est pas celle vers laquelle veut tendre le demiurge, la limite supérieure, non c’est l’inverse, c’est celle de la limite inférieure, celle de la maîtrise du risque, celle du risque nul, du risque zéro, celle finalement du principe de précaution inscrit dans notre constitution.

Je voudrais, pour préciser mon propos, vous présenter l’avis 120 du Comité Consultatif National d’Ethique « Questions éthiques associées au développement des tests génétiques fœtaux sur sang maternel ». J’en ai été rapporteur avec Patrick Gaudray. Il a été publié en avril 2013.

En juillet 2012, la direction générale de la santé, la DGS, a saisi le CCNE sur l’application des tests génétiques fœtaux sur sang maternel, au-delà de la trisomie 21, au dépistage de maladies génétiques et de handicaps. Cette saisine a été accompagnée de demandes de saisine de la part du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français ainsi que du laboratoire CERBA. Ils s’interrogeaient sur la place des tests fœtaux de trisomie 21 sur sang maternel dans le dépistage et le diagnostic et sur l’accès en ligne de ces tests à partir de sociétés hors de nos frontières.

Comme je les dis en introduction, la conjonction d’une observation – 10% de l’ADN circulant dans le plasma de la femme enceinte dès la 11ème semaine d’aménorrhée est d’origine fœtale – et d’une technologie – le séquençage très haut débit permet de connaître le génome du fœtus. Aujourd’hui, ce n’est pas aussi simple – mais demain ce le sera. L’évolution des techniques et des coûts est très rapide. A titre d’exemple, et au risque que ces exemples soient déjà dépassés, LifeCodexx propose un test fœtal focalisé sur la seule trisomie 21 pour 1250 €. Aujourd’hui, la société Natera via Gendia en Europe propose la recherche d’anomalies des chromosomes 13, 18, 21, X et Y) pour 850 €. On pressent que la diminution des coûts aura un impact majeur sur l’utilisation de ces tests.

L’avis est composé de deux parties principales encadrées par une introduction et des propositions ainsi que des pistes de réflexion. La première partie porte sur la trisomie 21 et sur l’interrogation d’un passage du dépistage tel qu’il est organisé aujourd’hui à un diagnostic d’emblée sur sang maternel. La seconde partie porte sur les conséquences de cette extension qui conduirait à s’interroger sur le diagnostic de maladies génétiques et de handicaps en absence même de signes d’appels échographiques ou d’antécédents familiaux.

Concernant la trisomie 21, ce n’est pas devant cette assemblée que je rappellerai l’organisation du dépistage proposé à toutes les femmes enceintes et du diagnostic proposé à toutes les femmes dont le risque que le fœtus soit atteint est supérieur à 1/250, diagnostic qui passe par un geste invasif. Le risque de 1/250 est estimé dans le cadre du dépistage de la trisomie 21 à partir de marqueurs sériques et de mesures échographiques. Je ne veux pas revenir sur les risques de perte fœtale induite par ces gestes invasifs et aussi de complications infectieuses, hémorragiques pour la femme enceinte. Il s’agit de complications exceptionnelles pour ces dernières. La très grande sensibilité du test sur sang maternel (99%) va permettre de surseoir dans 90% des cas à un examen invasif si un test sur sang maternel est fait aux femmes du groupe à risque. En évitant ainsi 80 à 240 pertes fœtales par an (si on retient 24 000 femmes dans le groupe à risque à l’issu du dépistage et 0,3 à 1% de pertes fœtales causées par un geste invasif). L’utilisation du test fœtal sur sang maternel apparait ainsi comme un progrès.

Dès ce stade, c’est-à-dire l’introduction du test fœtal sur sang maternel dans le seul groupe des femmes à risque, se posent des questions de faisabilité et de coût. Le prélèvement sanguin est simple, il nécessite cependant d’être « techniqué » rapidement pour qu’il n’y ait pas de lyse de globules blancs maternels et par là de prélèvement ininterprétable. Il devra être acheminé vers des laboratoires experts. Est-ce que ce seront quelques plateformes ? Est-ce que ce seront un grand nombre de laboratoires ? Quelle sera la place des brevets et des licences dans l’organisation de ces tests ? Quel sera leur coût ? L’introduction du test sur sang maternel sur 24 000 femmes à risque, ferait passer le coût annuel du dépistage et du diagnostic de trisomie 21 de 12 à 30 M€. La mise en place de plateforme, la nécessité de diminution des coûts restent de véritables questions ou plutôt étapes qu’il faudra résoudre. On pressent que cela devrait être résolu.

Après l’introduction du test sur sang maternel dans le groupe des femmes à risque, la question que l’on ne peut immanquablement se poser est celle de son extension à l’ensemble des femmes enceintes. La question doit être posée du fait de la différence de sensibilité entre le dépistage et celle du test sur sang maternel. La sensibilité du test combiné du 1er trimestre est de l’ordre de 80%, c’est-à-dire loin des 99% attendus de celle du test sur sang maternel. Il faut bien sûr rester prudent et s’assurer de l’absence d’effet pervers de test à grande échelle. Il faudra prendre en compte en particulier le taux de faux positifs du test sur sang maternel, estimés aujourd’hui à 0, 2%, soit 1/500. Ce taux de faux positifs requiert aujourd’hui la confirmation d’un résultat positif sur un prélèvement invasif. S’il est très différent du taux de faux positif du dépistage (finalement 90%), il reste problématique dès que les tests sont faits sur un très grand nombre. Sur les 800 000 femmes enceintes annuellement en France, il conduirait à réaliser encore 1600 gestes invasifs inutiles, presqu’autant que de diagnostics positifs.

Admettant réglé le taux de faux positif, l’interrogation sur la faisabilité d’un test non invasif sur l’ensemble des femmes enceinte s’en trouverait amplifier par rapport à un test proposé aux seules femmes à risque après le dépistage. Ce serait un vrai problème. L’interrogation sur le coût pour la société deviendrait majeure. Si le prix des tests restait de l’ordre de 1 000 €, le coût total de ces tests sur sang maternel serait de près d’un milliard d’euros par an. Une dépense inenvisageable aujourd’hui. Le CCNE a rendu un avis, l’avis 101 sur les problèmes éthiques liés à la répartition des ressources de santé. Les ressources de santé, même dans une société généreuse et solidaire, sont limitées et des choix, des ordres de priorité, doivent être faits. Ce n’est pas seulement un problème comptable, mais aussi un problème éthique.

Je voudrais évoquer l’interrogation que l’on peut avoir sur le risque de dérive eugénique liée à l’extension possible des tests sur sang maternel à l’ensemble des femmes enceintes. Il est vrai que rendre plus efficace le dépistage de trisomie 21 aurait très probablement du fait de l’augmentation de la sensibilité du test sur sang maternel pour conséquence de diminuer le nombre de naissances d’enfant porteur de trisomie 21. Cependant, il ne s’agit pas d’un objectif affiché en tant que tel. La finalité de ce dépistage est de donner un libre choix aux parents. Déjà, l’arrêté de 2009 fixant les bonnes pratiques de dépistage avait été perçu par certains comme un véritable acharnement. Il faut rappeler que la généralisation de proposition de dépistage n’a pas été faite par un état coercitif dans le cadre d’une démarche de santé publique imposée à toutes les femmes enceintes, mais dans un souci d’équité d’accès à toutes les femmes enceintes à un dépistage et un diagnostic de trisomie 21. Peut-être faut-il remettre en question le principe même d’une proposition de dépistage et de diagnostic ? Certaines voix se sont fait entendre. Aujourd’hui, c’est une possibilité offerte aux femmes enceintes, possibilité qui dans la majorité des cas est retenue. Il n’empêche que le respect du choix des femmes enceintes et les conditions de ce choix qui passent en particulier par l’information est essentiel. L’information : un vrai défi surtout si les temps du dépistage, du diagnostic sont contractés et si elle est très tôt au cours de la grossesse. Le CCNE a rappelé qu’au-delà de l’information, la condition d’un vrai choix est la capacité d’accueil par la société des enfants et plus tard des adultes atteints de ce handicap. Enfin, la poursuite et le développement de la recherche sont essentiels et doivent être sans cesse rappelés et associés à l’obtention de moyens.

Mais il demeure une interrogation sur la manière dont la société accueillera et accompagnera celles et ceux qui, de moins en moins nombreux, continueraient de naître porteurs de ce handicap. Quel regard porterait la société sur les parents qui auraient choisi de donner naissance à des enfants atteints de trisomie 21 ? Une telle interrogation ne devrait pas, pour autant, aboutir à culpabiliser ceux qui préfèreraient éviter, pour eux-mêmes et leurs familles, les difficultés liées à l’éducation et à l’accueil d’un enfant trisomique et à son devenir.

 

On peut s’attendre, sous réserve d’un certain nombre de conditions de faisabilité et de coûts, à ce que le dépistage de la trisomie 21 proposé à toutes les femmes enceintes devienne un diagnostic via l’analyse de l’ADN du fœtus sur le sang de la femme enceinte. La possibilité de séquencer en partie ou en totalité l’ADN fœtal chez l’ensemble des femmes enceintes, conduira alors immanquablement à s’interroger sur la proposition de diagnostic d’autres handicaps ou maladies d’origine génétique, qu’elles soient chromosomiques ou géniques.

Le diagnostic prénatal de certains handicaps ou maladies d’une particulière gravité et incurables identifiables aujourd’hui seulement après la naissance du fait de l’absence de signes d’appel échographiques et d’antécédents familiaux, deviendrait possible. Le diagnostic prénatal d’une maladie mendélienne transmise selon le mode récessif, qui ne peut être réalisé aujourd’hui dans la majorité des cas qu’après la naissance d’un premier enfant atteint, pourrait l’être dès la première grossesse. Y aurait-il alors une légitimité à ne pas proposer de tels diagnostics prénatals, quand les maladies prédites seraient «d’une particulière gravité et actuellement incurables», c’est-à-dire qu’elles obéiraient aux prérequis actuels de l’acceptabilité d’une demande d’interruption médicale de grossesse ?

Si la recevabilité de diagnostics prénatals conduits en dehors de tout signe d’appel échographique ou familial était effectivement retenue, cela bouleverserait les demandes de diagnostic prénatal. Jusqu’à présent, c’est une contrainte de nature technique qui, en plaçant la détection de maladies chromosomiques ou géniques en aval de signes d’appel, tenait lieu de protection vis-à-vis de possibles excès et dérives. Le développement de tests génétiques fœtaux sur sang maternel brise ces limites et impossibilités. Le fait que des enfants doivent naître malades pour que leurs suivants ne le soient pas n’est-il pas en contradiction avec le principe de non-malfaisance ? Le fait que toutes les femmes enceintes ou tous les couples ne puissent pas profiter de ce que la technique permet ne s’oppose-t-il pas au principe d’équité ? Ceux sont là les interrogations essentielles qui ont conduit le CCNE à ne pas mettre a priori de côté les capacités d’exploration non invasive du génome fœtal. Pour autant, le CCNE a rappelé l’illusion de la possibilité de donner naissance à un enfant qui serait exempt de toute « anomalie génétique ».

Bien des questions sont posées avec la perspective d’analyse du génome fœtal sur sang maternel. La première est quels gènes ou régions chromosomiques, pour quelles maladies feront l’objet de test ? S’il faut rester dans les conditions définies par les lois de bioéthique de 1994 et réserver ces tests aux maladies d’une particulière gravité et incurables, la tentation sera grande d’en rechercher d’autres. Elle sera d’autant plus grande que dans un avenir certainement proche, on peut s’attendre à ce qu’il soit plus simple d’effectuer un séquençage du génome entier que de sélectionner des régions d’intérêt et d’en réaliser un séquençage ciblé. Cependant, le fait que la technique permette de séquencer l’ensemble du génome fœtal justifiera-t-il de sa lecture complète et de la communication de l’ensemble de ce qui aura été lu ? Il faut rappeler que pour limiter tout risque de stigmatisation et de discrimination et préserver la singularité de chaque situation familiale, le législateur n’a pas retenu le principe d’une liste a priori de maladies pour lesquelles une demande d’interruption médicale de grossesse serait recevable. Il existe pourtant une discordance entre l’absence de cette liste et la mention spécifique de la trisomie 21 comme ouvrant au diagnostic prénatal et à l’IMG. Avec l’accès au génome entier du fœtus, la tentation sera grande de tout lire, de tout dire, y compris ce que l’on ne comprend pas aujourd’hui. Le CCNE s’est interrogé sur une analyse, ou à défaut une lecture ciblée du génome fœtal. Aurait-on le droit d’annoncer une mutation BRCA1/2, qui ne pourrait concerner que le futur enfant à l’âge adulte et qui aurait une conséquence pour la mère, puisqu’elle aurait un risque sur deux d’être porteuse ? Il faut plus que tout dans ce domaine réfléchir sur ce que l’on veut. Une analyse ou lecture ciblée ne recherchant que les maladies attendues grave et incurables permettrait de rester dans l’esprit de la loi votée en 1994.

Au-delà de cette réflexion encore théorique et utile car nous permettant d’anticiper l’avenir, il faut cependant revenir aux difficultés techniques, à la faisabilité à grande échelle, et s’interroger sur la qualité des prédictions. La substitution en routine d’un DPN invasif par un DPN non invasif sur sang maternel en cas de maladie génétique mendélienne dans la famille sera une première étape. Dans un second temps, on sera tenté d’examiner un grand nombre de gènes en dehors d’un contexte clinique particulier, point de départ d’une interrogation spécifique. C’est là où les ennuis commencent ou pour reprendre l’expression d’Arnold Munnich « la boîte à baffe se met en route ». Je voudrais insister sur la nécessité de la qualité des prédictions, ou plutôt prévisions. Il y a des risques importants de se tromper en pensant qu’une délétion de quelques mégabases a forcément un retentissement sur le développement cérébral, ou en retenant un variant de signification biologique inconnue dans un gène dont les altérations sont associées à une maladie génétique connue comme prédicteur de cette maladie. Si la génération de séquences est simple, banale, leur interprétation est souvent encore complexe. Le développement de bases de données colligeant génotypes et phénotypes, à l’image du Human Variome Project ou du mégaconsortium the Global Alliance for Genomics and Health, est essentiel. De la même façon, la constitution de cohorte de sujets témoins, dits normaux, est indispensable. Ceci permettra de ne pas surestimer la gravité des phénotypes en même temps que d’avancer dans la compréhension de l’expression de la maladie. L’importance des facteurs modificateurs dans la pénétrance et l’expressivité de certaines maladies génétiques a été soulignée, facteurs qui peuvent être génétiques, mais aussi liés au mode de vie et à l’environnement.

Bien sûr, bien d’autres conditions seraient à respecter avant que ces tests donnant accès au génome fœtal soient mis en œuvre. Il serait indispensable que la démarche de diagnostic prénatal reste celle de la femme enceinte ou du couple et non la mise en place d’une politique de santé publique imposée à tous. Cette décision passe encore et toujours par l’information. Comme évoqué pour la trisomie 21, la poursuite des efforts de recherche sur les maladies génétiques est indispensable comme l’accueil par la société des enfants et des adultes handicapés ou malades.

Certains proposent, pour les maladies récessives, un préalable aux tests fœtaux sur sang maternel : les tests préconceptionnels. Il s’agirait de réaliser, avant un projet parental, des tests génétiques recherchant si chacun des membres du couple est porteur d’une mutation délétère dans un même gène, impliqué dans une maladie grave, actuellement incurable et pouvant donc faire l’objet d’une interruption médicale de grossesse. On déplacerait ainsi l’identification d’un risque pour le fœtus vers ses futurs parents. Cette identification de couples à risque de donner naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique grave, bien que déjà appliquée dans certains pays à certaines maladies, ouvre de vastes et délicates questions éthiques, notamment parce qu’elle conduit à constituer une espèce de « carte d’identité de risque génétique » qui présenterait le double risque d’interférer dans les unions entre personnes envisageant un projet parental et de cataloguer ou catégoriser ces personnes, les soumettant ainsi à de potentielles discriminations ou stigmatisations. Cette situation soulèverait des questions éthiques qui s’intègreraient dans le contexte général des problèmes éthiques posés par un accès au séquençage complet du génome quel que soit l’âge. Cette question nécessite donc une analyse particulière que le CCNE a commencée en vue d’un prochain avis.

 

Quelles ont été les propositions et pistes de réflexion de l’avis 120 ?

Je voudrais citer l’introduction de cette dernière partie de l’avis qui résume assez bien la position, l’état d’esprit du CCNE.

« Sans qu’il soit question de se laisser guider par la technique, il est impossible de ne pas considérer et prendre en compte l’évolution si rapide, en cours aujourd’hui, des outils de la génomique humaine. Ceci vaut particulièrement pour les nouveaux tests génétiques fœtaux effectués sur prélèvement de sang maternel et fondés sur les méthodes de séquençage d’ADN à très haut débit.

Les outils existent et seront probablement utilisés s’ils ne le sont pas déjà. La question est donc davantage de savoir comment nous estimons qu’ils devraient être utilisés et régulés que d’imaginer qu’ils pourraient ne pas l’être. Etre capable de réaliser ce qui apparaît encore aujourd’hui comme un exploit technologique et, qui plus est, dans des conditions économiques plutôt favorables du fait d’un coût en continue et rapide diminution, n’autorise pas à l’appliquer sans discernement ni considération de ses implications éthiques. »

Les lignes de recommandations sont :

  • Introduction progressive du test de trisomie 21 sur sang maternel, avec dans un premier temps son utilisation aux femmes retenues comme à risque à la suite du dépistage, puis sous réserve que sensibilité, spécificité aient les mêmes valeurs dans la population générale et que les conditions de faisabilité, de coûts, une extension vers l’ensemble des femmes enceintes
  • Accompagner l’extension des prescriptions de tests fœtaux sur sang maternel. Le critère de particulière gravité et incurabilité doit rester au cœur de la recevabilité de la demande de la femme enceinte ou des couples
  • La nécessité de poursuivre les efforts de décryptage et de compréhension des modifications du génome humain, condition sine qua non à la qualité de la prédiction des phénotypes
  • Valoriser ce que la génomique apporte à la thérapeutique. Il s’agit d’insister sur les efforts de recherche et sur les retombées générales sur la compréhension de l’ensemble des maladies y compris sur les maladies fréquentes dans la population générale.
  • Confronter santé et absence de maladies liées à des anomalies génétiques. Le CCNE rappelle que les futurs parents souhaitent non pas l’enfant parfait, mais un enfant en bonne santé, et, pour beaucoup de parents, un enfant qui ne soit pas obligatoirement condamné, dès la naissance, à un handicap ou une maladie incurable et d’une particulière gravité.

Le CCNE s’interroge alors sur les notions de norme, de normalité et de normativité en matière de santé. Outre la définition statistique, la définition de l’écart de la norme en santé est liée au fait que cet écart se traduit par une souffrance, par une altération des capacités et de l’autonomie. Ainsi la définition du handicap ne résulte pas seulement des problèmes physiologiques mais aussi des obstacles que met la société à l’exercice des droits, des capacités et de l’autonomie d’une personne porteuse d’un handicap.

Je voudrais citer ici Maurice Lamy, l’un des fondateurs de la génétique médicale française. En 1951 à l’heure où l’abstention de procréer était la seule attitude pour ne pas donner naissance à un enfant malade, Maurice Lamy identifiait la tension éthique dans laquelle se placerait tout dispositif visant à organiser le conseil génétique : « Quelle forme, Messieurs, prendront dans la société future ces consignes abstentionnistes ? Quelles mesures de police sanitaire cette société imposera-t-elle ? Ses décisions dépendront, avant tout, me semble-t-il, de la valeur relative qu’elle attachera à deux biens, fort précieux tous les deux, mais qu’il peut être malaisé de sauvegarder simultanément : la santé d’une part et la liberté de l’autre ». Retenons qu’il faut se prémunir contre une politique imposée de santé publique et toujours mettre en avant le choix des femmes et des couples.

Enfin, je voudrai finir cette intervention en citant le très beau livre d’Anne Dufourmantelle « L’éloge du Risque ». Ce livre nous dit que le risque, c’est la vie et veut nous apprendre à « risquer notre vie, à vivre ». Elle nous rappelle les travers, l’effet mortifère de la maîtrise des risques. Je cite : « Il est étrange de penser qu’aucune époque, peut-être, n’a été plus sûre que la nôtre, et pourtant nous souffrons tous d’une inquiétude grandissante, incommensurable à tout évènement, à tout risque d’évènement, devrais-je dire. //. Le risque zéro, dans son énonciation, est une absurdité, puisque son effectivité annulerait la réalité même de ce dont il est question. ». Faisons confiance à l’avenir, et s’il est raisonnable d’identifier quelques maladies graves et incurables, n’oublions pas que la majorité des enfants qui naissent vont bien. Enfin, interrogeons-nous, comme Benoît Bayle, dans « L’embryon sur le divan » sur le retentissement psychologique chez l’enfant qui serait né après l’analyse in extenso de son génome : survivant conceptionnel, héros ou esclave ?

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